Vive les tartines… et les diplômés en diététique !
A l’heure de la rentrée scolaire, les conseils pour bien nourrir ses enfants sont nombreux. Malheureusement, de nombreuses informations erronées circulent.
Aujourd'hui, j’ai lu un article du Vif Weekend qui ne m’a pas plu, mais alors pas du tout ! Il s’agit pourtant d’un magazine qui a une image plutôt sérieuse, mais cette fois-ci, ils sont tombés dans le panneau, bien comme il faut. Ils ont interviewé une nutrithérapeute. Oui oui, cette formation non reconnue, que l’on peut suivre par exemple à raison de 12 modules de 2 jours… Avec un week-end supplémentaire pour donner une formation de base dans le domaine de la santé à ceux qui n’en ont pas, tout de même. Vous trouvez cela rassurant de confier sa santé à une personne qui a suivi 26 jours de cours ? Apparemment, pour le Vif, c’est quelque chose à faire. Si encore les conseils donnés valaient quelque chose, cela m’énerverait moins.
Discours culpabilisant et idées fausses
L’article commence très fort en faisant culpabiliser les parents, ces personnes courageuses qui, après avoir affronté le boulot, le retour de l’école, les devoirs, la préparation du repas et j’en passe, trouvent encore l’énergie de faire la boîte à tartines des petits. Or, d’après Véronique De Clercq, la nutrithérapeute interviewée, la tartine ne répond pas aux besoins des enfants ! Les parents auraient tout faux ! Ce qu’il faut, ajoute-t-elle, c’est moins de pain et plus de protéines et de légumes. Voilà.
J’en ai tellement bondi que j’ai failli me prendre le plafond. Plus de légumes, d’accord, mais sur la question des protéines, laissez-moi vous expliquer quelques petites choses. On en mange trop. Surtout les enfants.
En manger un peu trop, ce n’est pas un problème, mais en manger deux à trois fois trop peut avoir des conséquences ennuyeuses. Par exemple, un excès de protéines chez les enfants de 0 à 4 ans est formellement lié à un risque accru d’obésité.
En plus, on ne mange pas juste des protéines, elles se trouvent dans des aliments (viande, charcuterie, produits laitiers, entre autres) qui ne contiennent pas que des protéines mais aussi des acides gras saturés, communément appelés « mauvaises graisses » en raison des effets néfastes d’un excès de ces dernières sur le système cardio-vasculaire.
Attention, je ne veux pas stigmatiser ces aliments. Je ne dis pas qu’il faut les supprimer, mais qu’il faut les manger avec modération. On n’a pas absolument besoin de manger beaucoup de viande ou de charcuterie pour être en bonne santé, au contraire. Le Fonds Mondial de Recherche contre le Cancer recommande de limiter sa consommation de viandes et charcuteries à maximum 500 grammes par semaine. En consommer plus augmente notre risque de développer un cancer colorectal.
Pour les enfants, voici un repère approximatif mais assez pratique : ils ont besoin de 10 grammes de viande ou équivalent (volaille, poisson, œuf, et ça marche aussi avec les sources de protéines végétales comme les légumineuses ou le tofu) par année d’âge et par jour. Pour un enfant de 5 ans, cela fait 50 grammes, ce n’est vraiment pas énorme (voir aussi les recommandations de l'ONE).
Et si les parents d’un tel bambin suivent les conseils de Madame De Clercq, en donnant deux tranches de jambon roulées pour son repas de midi, le petit chéri aura déjà reçu plus que sa ration quotidienne de bidoche (une très petite tranche de jambon pèse 25 grammes, et cela peut peser jusqu’à 50 grammes la tranche). C’est très embêtant de mon point de vue de diététicienne, car le souper contient également de la viande (ou équivalent), souvent en excès aussi, et donc avant d’avoir eu le temps de dire ouf, on se retrouve avec un petit garçon qui a mangé quatre fois plus de viande que ce qui est conseillé.
Du pain et des jeux !
Je ne suis pas d’accord non plus quand la personne interviewée conseille de diminuer les quantités de pain. Pour qu’un enfant puisse s’épanouir à l’école puis avoir encore assez d’énergie pour continuer à mettre le bazar dans sa chambre une fois rentré, et éventuellement faire un peu ses devoirs, ce sont des glucides qu’il lui faut ! On trouve ceux-ci dans tous les féculents, dont le pain fait partie. Le diminuer va à l’encontre des recommandations nutritionnelles officielles pour la Belgique. Je ne comprends toujours pas cette mode de dire qu’il faut diminuer les rations de féculents, surtout en ce qui concerne les enfants. Pitié, laissez-les en-dehors du régime paléo pour cross-fitteurs !
Blanc ou gris ?
Les propos de la nutrithérapeute, retranscrits par la journaliste du Vif, affirmant que « le pain blanc est un sucre rapide, alors que le pain complet est un sucre lent », sont aussi bien loin de la réalité. Déjà, le pain, ce n’est pas du sucre, c’est un mélange de farine, d’eau et de levure, qui a été cuit, et contient des l’amidon. L’amidon, ce n’est pas du sucre non plus, c’est un polysaccharide composé de longues chaînes de molécules de glucose reliées entre elles par des liaisons alpha 1-4 et alpha 1-6 (allez voir sur Wikipédia), qui pourront être cassées par nos alpha-amylases, enzymes digestives (idem, Wikipédia, merci), qui permettront de libérer le glucose, afin que ce dernier passe dans notre sang et joue son rôle de source d’énergie pour nos cellules.
En plus, c’est vraiment un mythe de dire que le pain blanc est plus « rapide » que le pain gris. Certes, le pain très très complet, qui comprend encore des grains entiers, a un index glycémique plus bas que le pain blanc, c'est-à-dire qu’une quantité de pain à grains entiers qui contient 50 grammes de glucides fera moins augmenter le taux de glucose dans le sang, qu’une quantité de pain blanc contenant 50 grammes de glucides (Pour ceci, n’allez pas voir sur wikipedia, ce n’est pas assez clair). Le pain gris classique contient certes un peu plus de fibres que le pain blanc, mais son index glycémique est pratiquement similaire (Atkinson FS, Foster-Powell K & Brand-Miller JC, Diab Care 2008). Le concept de « sucres » qui seraient « rapides » et « lents » est dépassé depuis bien vingt ans. Ajoutons à cela que cela n’a pas de sens d’évaluer l’impact sur la glycémie du pain mangé isolément, car il est consommé avec d’autres aliments (matière grasse à tartiner, garniture du pain, légume ou fruit) qui vont modifier la vitesse à laquelle l’estomac se vide, et donc la vitesse à laquelle le glucose va arriver dans le sang.
Mes conseils
Parents, continuez ce que vous faisiez pour le pain, c’est un aliment qui convient bien aux enfants comme à vous-mêmes. Il faut juste que les quantités soient adaptées aux besoins en énergie de celui qui les mange, c'est-à-dire environ 2 tranches pour les maternelles et premières années de primaire, 2-3 tranches pour les adultes et les grands de primaire, jusqu’à 5 tranches pour les ados en pleine croissance qui dévorent et en ont bien besoin (voir ici pour des idées de quantités).
En plus du pain, gardez ces trois points en tête :
Prendre l’habitude de manger des légumes à midi, c’est important et cela passe par vous ! Vous avez le choix de la forme : crudités dans la tartine ou à côté, légumes cuits froids, jus de légumes ou potage (dans certaines écoles, vous pouvez abonner votre enfant pour qu’il reçoive un bol de soupe durant le repas tartines, cela vaut le coup de vous renseigner).
Ne mettez pas trop de charcuterie. Proposez à la place des garnitures de poisson, du fromage (frais ou en tranches), ou des garnitures végétariennes. Houmous, caviar d’aubergines, ou pâtes de légumes diverses, remplacent bien la viande, et c’est bon ! Testez-en, il y a des recettes ici, développées avec ma collaboration.
Enfin, faites une place pour les graisses au repas tartines ! Je ne dis pas qu’il faut mettre des couches de beurre épaisses comme le doigt, mais il en faut un peu (ou de la margarine, ou de l’huile, ou des fruits oléagineux, ou des préparations qui en contiennent). Les graisses sont nécessaires à plus d’un titre, et en plus elles ralentissent la vidange gastrique, et favorisent donc une élévation plus progressive de la glycémie.
Et on n’a pas encore parlé des boissons, mais pour les enfants comme pour les adultes, il faut prévoir de l’eau pour accompagner tous les repas. C’est la seule boisson indispensable.
Voilà, j’espère avoir contribué à vous convaincre de manger de la viande avec modération, du pain sans mauvaise conscience, et de vous fier à l’avis de diététiciens agréés plutôt qu’à celui de nutri-brol-muche !